Peintures Gond
Les Gonds sont un peuple hétérogène de type proto-australoïde, peut-être apparenté aux aborigènes d’Australie. Ils sont plusieurs millions d'individus, dispersés sur les territoires du Centre-Est de l’Inde.
Ils se nomment eux-mêmes "Koitur", c’est-à-dire montagnards. Ils sont traditionnellement associés aux collines et aux hautes terres de la péninsule du Deccan. De nombreux Gonds vivent dans des hautes terres entre 600 et 900 mètres, avec des pics isolés dépassant parfois 1 200 mètres dans des régions dont les rivières alimentent quelques grands fleuves de l'Inde tels que le Narmada ou le Godavari. Le couvert forestier est souvent dense et les communications sont généralement difficiles. Février voit le début de la saison chaude, avec des températures dépassant les 40° C au mois de juin. L'été apporte les pluies de mousson, avec des quantités de précipitations supérieures à 120 centimètres.
dans les collines, derrière un bosquet, la maison de la prêtresse signalée par un drapeau blanc
Les Gonds parlent le ‘‘gondi’’, une langue non écrite, composée d’un grand nombre de dialectes, mais les jeunes générations parlent aussi maintenant le hindi, la langue nationale. Une partie des Gonds chasse toujours avec un arc-fronde au moyen duquel ils tirent de petites billes d’argile, ils sont très précis avec ces frondes… Ils sont constitués en groupes partagés en clans. Ils pratiquent l’exogamie au sein de leurs groupes. Ces différents groupes mènent des styles de vie très différents, certains étant cultivateurs ou pasteurs, d’autres, structurés en castes, peuvent être danseurs et musiciens itinérants.
La prêtresse-guérisseuse de la communauté des "Pandas" vénère Duladoli, le dieu de la cuisine & un barde de la communauté des ‘‘Pardhan’’ joue du ‘‘bana’’
Les Gonds adorent un dieu principal connu sous le nom de Bara Deo qui supervise les activités des dieux inférieurs. Les Gonds croient que les mauvais esprits et le mécontentement des dieux sont à l'origine de la plupart des maladies et des malheurs. Ils consultent les chamans qui tombent en transe et expriment les demandes d'un dieu ou d'un esprit offensé. Les membres de la communauté des Pardhans jouent d’un instrument à cordes appelé le ‘‘bana’’. Chaque famille de cette communauté en possède un. Fabriqué à partir de l’arbre ‘’saja’’, cet instrument de musique représente Bara Deo et permet d’entrer en contact avec la divinité suprême.
Les croyances des Gonds s’appuient sur des mythes qui fondent encore aujourd’hui leur conception du monde. Les divinités, les animaux et les arbres sont indissociables des histoires transmises de génération en génération. Ainsi en est-il de la création du monde selon les Gonds :
De nombreux festivals Gonds sont liés à l'agriculture. Ceux de Pola (en hommage au bétail) et Nagpanchami (en hommage au serpent) sont très populaires. La danse est un devoir religieux. C'est aussi une occasion de s'amuser.
Danseurs dans le village de Ghada & danseurs dans le village de Blarpur
Un village typique des Gonds compte plusieurs hameaux. Chacun se compose de fermes qui abritent des familles élargies. Les maisons sont généralement construites en boue et en chaume. Ils se composent d'un salon, d'une cuisine, d'une véranda, d'une pièce spéciale pour les femmes à utiliser pendant leurs règles et d'un sanctuaire pour les dieux du clan.
Les femmes ornent les murs des maisons avant de les peindre. Ces peintures ornementales sont réalisées à l’occasion de grandes fêtes familiales ou communautaires et, chaque année en novembre, pour la grande fête hindoue de Diwali. Ces peintures décoratives ont pour nom ‘‘digna’’. Ce sont des figures géométriques pleines, généralement de couleur bleue qui ornent les portes, bordent les soubassements, délimitent les cours intérieures…
De gauche à droite : Digna dans le village Garthamatha & Digna dans le village Patangad
Plus rarement, certaines familles peignent sur les murs des animaux fantastiques. Leur représentation illustre quelques croyances telles cette curieuse histoire du ‘‘crabe éléphant’’.... qui n’est pas sans rappeler le mythe hindou de l’origine de Ganesh, la divinité à tête d’éléphant… Sauf que, selon les Gonds, Shiva aurait décapité un crabe et non un éléphant (pour réparer sa faute d’avoir ôter la tête du fils de Parvati)… étant bien entendu qu’à cette époque les crabes avaient une tête d’éléphant. Naturellement, ceci explique que, depuis lors, les crabes sont dépourvus de tête !
Le crabe-éléphant dans le village de Patangad
Ces peintures en relief auraient probablement définitivement disparu sans l’intervention de Jagdish Swaminathan. Ce peintre-écrivain et acteur culturel majeur de la deuxième moitié du XXe siècle en Inde s’était fixé pour mission de faire connaître les peintures vernaculaires indiennes. En 1981, dans le village de Patangarh, il découvre un jeune garçon de la communauté des Pardhan appelé Jangarh Singh Shyam. Impressionné par ses peintures murales et ébloui par la potentialité de son talent, Jagdish Swaminathan le prend sous son aile, lui propose de travailler au musée de Bhopal et l’aide à développer ses dons artistiques.
La créativité et l’originalité des dessins de Jangarh Singh Shyam le rendent vite célèbre. Il est sollicité en Inde et à l’étranger (à Paris au Centre Pompidou pour ‘‘Les Magiciens de la Terre en 1989’’, par exemple). Il meurt accidentellement au Japon en 2001 dans des circonstances mystérieuses.
À l’âge de trente-huit ans Jangarh aura su faire naître un courant artistique nouveau, un art tribal vraiment contemporain que l’on appelle art gond mais que l’on devrait plus justement désigner sous l’expression ‘‘Jangarh kalam’’ (kalam signifiant dessin).
De gauche à droite : Jangarh Singh Shyam au sortir de l’enfance, une peinture murale du jeune Jangarh et une peinture sur toile, 20 ans plus tard
Plusieurs autres peintres de la communauté pardhan, l’ont d’abord pris pour maître avant de trouver leur propre expression. De près, ces toiles sont composées des milliers de petits signes colorés dessinés minutieusement. De loin, ils prennent la forme d'êtres vivants dans un univers fantastique. Chaque peintre utilise un ou plusieurs motifs. Il peut s’agir de signes graphiques inspirés des tatouages, ou de signes plus élémentaires tels les points, les traits, les arcs de cercle, les chaînes, les rondelles de citron…
Vingt ans après le décès de Jangarh Singh Shyam, quelques dizaines de peintres ont ainsi émergé. Fidèles au principe de construction graphique initié par le peintre trop tôt disparu, ils ont tous séparément développé un style singulier. Mais ces peintres ne viennent pas de nulle part. Non seulement, ils appartiennent tous à la communauté des Pardhans, mais la plupart appartiennent à la famille proche de Jangarh.
Ainsi en est-il en premier lieu de Nankhusia Shyam, veuve de Jangarh, leur fille Japani et leur fils Mayank. De cette proximité familiale, on aurait pu craindre un appauvrissement répétitif des illustrations, de leurs thématiques et des techniques utilisées. Force est de constater que ce n’est pas le cas, chaque membre de la famille a réussi à affirmer une créativité toute personnelle.
De gauche à droite : Nankhusia et son oeuvre ‘‘Birds’’ , Japani et son oeuvre ‘’Jalpari’’ , Mayank et son oeuvre ‘’Mating Bulls’’
Le même constat peut être fait lorsque l’on découvre les œuvres produites par Subhash Vyam (frère de Nankhusia), son épouse Durga Bai, et leurs enfants Man Singh et Roshni. Tous les quatre sont unis autour d’une profonde et même fascination : l’arbre de vie ; mais chacun associe à l’arbre sacré son propre imaginaire. Pour Durga Bai, l’arbre est le moyen de raconter de longues histoires, Subhash préfère montrer combien les arbres, les animaux et les humains constituent une identité commune, Man Singh exprime sa perception anthropomorphique de l’arbre où se cachent souvent d’étranges regards, et Roshni joue avec toutes les facettes de l’arbre pour dévoiler son désir d’émancipation des femmes…
Subhash Vyam est d’abord sculpteur mais il a plusieurs cordes à son arc. Il a travaillé dans la sérigraphie et il est un des spécialistes des peintures en relief d’argile qui décorent les murs et les cloisons. Ses œuvres témoignent d’un fort respect à la nature et révèle le tempérament d’un homme sensible, à la recherche permanente de l’harmonie entre toutes choses. Avec son épouse, il a participé à la réalisation du livre ‘‘Bhimayana’’ (Edition Mémo), récit graphique humaniste sur le sort des éternels exclus en Inde.
Subhash Vyam et son oeuvre "Kajal Machli"
Durga Bai a commencé à peindre les ‘‘dignas’’ dès l’âge de 6 ans. Guidée par Jangarh Singh Shyam, peu après son mariage à l’âge de 15 ans, elle a commencé à peindre les divinités du panthéon de sa communauté. De tempérament enjoué, Durga Bai aime raconter des histoires. Ses sujets de prédilection sont enracinés dans le folklore et la mythologie tribale. Ses peintures riches en couleur témoignent d’un lyrisme débridé et pétillent d’une énergie foisonnante. Outre le livre ‘‘Bhimayana’’ élaboré avec son mari, elle a aussi participé à l’ouvrage collectif ‘‘la vie nocturne des arbres’’ (Actes Sud) qui a connu un vif succès en France.
Durga Bai et son oeuvre "le veau et les lucioles"
Man Singh a su développer un univers graphique très personnel autour d’animaux fantastiques chargés de symboles. Les oiseaux sont omniprésents, facétieux ou inquiétants. Sa vision anthropomorphique de l’arbre lui permet de développer des thèmes qui lui sont chers : la souffrance et la prodigalité de la nature, la dépendance de l’être humain à son environnement, les cycles de la vie et la renaissance…
Man Singh et son ouvre "dancing tree"
Roshni Vyam, née en 1994, est une des plus prometteuses artistes de sa communauté. Elle a commencé à réaliser des peintures dès l’âge de 5 ans, à partir des histoires que lui racontait sa mère. En grandissant, elle a essayé de conjuguer les motifs traditionnels avec des éléments plus contemporains. En 2015, elle remporte le ‘‘Ojas Award’’ de ‘Jeune Artiste Gond’’ au Festival de Littérature de Jaipur et collabore à l’illustration de la revue pour enfants ‘‘Chakmak’’. Dans le même temps, ses parents ont à cœur qu’elle poursuive ses études. Elle est la première artiste Gond à obtenir un diplôme universitaire ainsi que le ‘‘Best Graduation Project Award’’ pour son travail en design textile dont elle est très fière. Suite à un séjour en France, elle participe à l’illustration du livre “Over and Under Ground in Mumbai & Paris” dans lequel elle livre sa perception graphique de la ville de Paris au fil de son métro.
Roshni Vyam et son oeuvre "Femmes"
Outre les titres précités, d’autres livres illustrés par des peintres gonds son édités en France : ‘‘Les animaux musiciens’’ de Sri Rao et Durga Bai (Actes sud), ‘‘Mon voyage inoubliable’’ de Bhaju Shyam (Syros), ‘‘Un deux, trois… dans l’arbre‘’ de Durga Bai, Sri Rao, et Anushka Ravishankar (Actes Sud), ‘’Voilà comme je vois les choses’’ de Sri Rao et Bhaju Shyam (Syros)… sans oublier ‘’L’éléphant volant’’ de Rajendran Shyam (Editions du Jasmin) sur un texte de Padmaja Srivastava, membre très actif de DUPPATA en Inde.
Tous ces peintres et bien d’autres encore témoignent d’une pratique aussi vivante que créative de ce qu’il est courant d’appeler ‘‘l’art gond’’… véritable art tribal contemporain initié par Jangarh Singh Shyam.
Oeuvres de Mayank Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Roshni Vyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Man Singh (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Durga Baï (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Bhaju (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Rajendra Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Subhash Vyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Sukhnandi Vyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Santosh Maravi (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Sushila Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Sunil Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Nankhusia Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Ramesh Tekam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Ram Singh Urveti (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Manoj Tekam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Japani Dhurvey (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Koshal Prasad Tekkam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Dvarka Paraste (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Durgesh Maravi (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Oeuvres de Anand Singh Shyam (cliquer sur l'image pour l'agrandir)