Peintures Oraon
Les Oraons sont aujourd’hui présents au Mayanmar, au Népal ou au Bhoutan, mais on les trouve principalement dans les Etats à l’Est de l’Inde. La population exacte est difficile à définir, probablement environ 4 millions de personnes. Sur le seul Etat du Chhattisgarh créé en 2000 par division de l’Etat du Madhya Pradesh, le dernier recensement fixe le nombre à 850 000 individus, soit 3% de la population totale de l’Etat. Cette région est composée de forêts pour près de 50% du territoire.
Paysages autour d'Ambikapur
On trouve principalement les Oraons dans les villages autour d’Ambikapur et de Jashpur. Ce sont des chasseurs-cueilleurs progressivement devenus agriculteurs. Ils se désignent comme ‘‘Kurukh’’ ; ce terme étant aussi le nom de leur langue d’origine dravidienne, celle qu’ils parlent en famille. Mais ils peuvent aussi communiquer avec les autres tribus en langue ‘‘sadri’’… alors que la langue officielle, c’est-à-dire celle utilisée à l’école, est l’hindi !
Leur appartenance culturelle et religieuse peut être répartie en 3 groupes : ceux qui restent fidèles aux croyances d’origines rassemblées sous le terme ‘‘Sarna’’, les Hindous et les Chrétiens de conversion plus récente.
Le ‘‘sarnaîsme’’ reste malgré tout le tronc commun des 3 communautés. Il porte un véritable culte aux arbres. Deux essences sont particulièrement sacrées.
L’arbre ‘‘karma’’ (Nauclea Parvifolia) est vénéré car il apporte abri, protection et ombre, mais il symbolise surtout l’origine des Oraons. Cette croyance fait l’objet d’un rituel. Avec un fil, on fait 7 fois le tour de l’arbre en hommage aux 7 frères qui ont donné naissance à la tribu ; un garçon célibataire grimpe sur l’arbre, coupe 3 branches, les donne à 3 jeunes filles qui les plantent au pied d’un mat surmonté d’un drapeau.
La danse ‘‘Karma’’ peut commencer ; la bière de riz, la liqueur de ‘‘mahua’’ et l’alcool de palme coulent à flot…
L’arbre ‘‘sal’’ (shorea robusta) est vénéré pour la qualité de ses graines dont on extrait l’huile, pour sa résine utilisée comme encens ou pour son bois de charpente.
Au pied de cet arbre, a lieu la principale cérémonie annuelle des Oraons : le ‘‘sarna’’. Lors d’un rituel très précis, on y fait offrande à la divinité Mahadev qui l’habite. De bon matin, des jeunes filles vont chercher de l’eau au puits, la verse mélange sur de la bouse de vache puis badigeonnent le sol autour de l’arbre. Le sacrifice du poulet peut avoir lieu. Tout d’abord, on donne à manger au petit animal. Tant qu’il n’a pas mangé, on considère que les divinités ne sont pas prêtes à accepter le sacrifice… on poursuit les prières jusqu’à ce qu’il soit rassasié. On évite tout incident pendant le déroulement des opérations, sinon quelque chose de grave arrivera dans le village (épidémie par exemple). Et bien sûr, on boit beaucoup de bière de riz.
L’eau et la terre sont aussi particulièrement vénérés. Lors de la cérémonie du mariage, les futurs époux doivent accomplir deux rituels fortement chargés de sens.
- La ‘‘Della puja’’ : c’est le début de la cérémonie. Le jeune couple va dans un champ labouré, prend un morceau de terre (‘‘della’’), le bénit avec du curcuma, de l’encens, du sindoor et… de la bière de riz, sous le regard attentif des personnes âgées du village.
- La ‘‘Hamb Kandena’’ se déroule près d’un puits ; les futurs époux prennent de l’eau dans des seaux neufs, puis bénissent le lieu avec du curcuma, de l’encens, du sindoor…
Ces deux geste accomplis, on sort de gros instruments à percussion ornés de bois de cerf. La cérémonie peut se poursuivre.
Et beaucoup d’autres circonstances sont bonnes pour danser à l’entrée des maisons !
Danse d'accueil
Les habitations sont assez rudimentaires mais toujours réalisées selon un principe modulaire progressif. On construit d’abord une pièce et on laisse dépasser les poutres à l’extérieur. Lorsque les récoltes ont été bonnes et que la maison peut s’agrandir, on ajoutera une pièce, puis, deux, trois… en s’appuyant sur la structure initiale.
Cucurbitacées sur toitures
La terre est sacrée. Chaque surface utile doit être exploitée. On plantera des courges au pied des murs et on laissera la plante grimper sur le toit pour que les fruits se gorgent de soleil.
Régulièrement on badigeonnera les façades avec de l’argile, de la bouse de vache et quelquefois de la cendre. Les grands mouvements en arc de cercle sur les murs et sur les sols seront réalisés avec soin et application à des fins décoratives.
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Mais les illustrations ont assez rares. A l’occasion des grandes fêtes telles que Diwali et en signe de reconnaissance aux divinités et aux esprits, certaines familles feront des marques sur les murs en apposant leurs mains préalablement baignées d’un mélange d’eau et de poudre de riz. Mais ces traditions s’estompent.
mains éphémères en hommage au riz
Plus rares encore sont les Oraons qui laissent libre cours à leur imaginaire !
Une fresque pour fêter Diwali
Un mode pictural est néanmoins constitué avec ces répétitions rythmées d’arcs de cercle assortis de motifs géométriques ou de simples figurations.
C’est en puisant dans cet univers graphique qu’une femme Oaron s’impose aujourd’hui comme chef de file de l’art tribal de sa région. Son histoire est assez exceptionnelle !
Née dans les années 80 dans un village près de Jashpur (Etat du Chhatisgarh), Agnesha Kerketta a commencé à peindre sur les murs à l’âge de 10 ans sous l’influence de sa grand-mère. Elle se rappelle qu’elle ne voulait pas utiliser la bouse de vache car elle trouvait que ça sentait mauvais. Très proche de son oncle maternel, celui-ci lui a appris un grand nombre d’histoires traditionnelles. Illettrée, elle s’est mariée à 18 ans. Sous l’influence de ses beaux-parents, elle a appris la danse et la musique et a commencé à se produire dans une troupe locale. En 1999 elle doit installer à Bhopal car son mari vient d’y trouver un travail. Elle rejoint alors le groupe de chant et danse ‘‘Adivasi Lok Kala Parishad’’ initié par le gouvernement du Madhya Pradesh afin de promouvoir les arts et la culture locale. C’est à cette occasion que les peintures, réalisées chez elle à des fins personnelles, attirent l’attention de l’organisation gouvernementale Cela l’incite à poursuivre et elle vend sa première peinture à l’âge de 22 ans. Jusqu’à l’âge de 30 ans, ses œuvres sont exclusivement inspirées des peintures murales rituelles de sa tribu.
"Accueil de la jeune mariée" de Agnesha Kerketta, acrylique sur toile, format 90 cm x 65 cm
Dans cette œuvre, Agnesha évoque le rituel d’accueil de la jeune mariée lorsqu’elle pénètre pour la première fois dans la maison de ses beaux-parents. Sur le seuil de la maison, la belle-mère jette par derrière elle une poignée de riz broyé et une autre de curcuma moulu. La jeune mariée entre dans la maison, se baisse, imprègne ses mains des poudres qui couvrent le sol et les appose sur les murs en signe de respect pour son nouveau foyer.
Mais Agnesha a plusieurs cordes à son arc. Dotée d’une grande force de caractère, elle conserve son amour pour les arbres. Elle continue à chanter pour le plaisir (et pour le nôtre) en particulier lorsqu’elle se trouve face à l’arbre ‘‘karma’’ ou quelque autre merveille de la nature.
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Agneska Kerketta
Elle aime la nature et marque une préférence pour le monde des poissons. Elle nous dit qu’elle est fascinée par les rondes qu’ils effectuent lorsque se vide l’eau des rizières. Ces agitations, ainsi que les craintes et les espoirs qu’elles suscitent, lui inspirent des peintures où l’art de la cinétique prédétermine le graphisme.
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"Poissons dans la rizière" Agnesha Keketta Acrilyque sur toile Format 57 cm x 87 cm |
"Rêverie aquatique" Agnesha Keketta Acrylique sur toile Format 90 cm x 60 cm |
Mais surtout, elle se rappelle les histoires que lui racontait son grand père et décide de les mettre en images.
"Le sarhul" de Agnesha Kerketta, acrylique sur toile,format 45 cm x 60 cm
Ainsi Agnesha nous raconte :
Il était une fois une maison dans laquelle vivent 7 frères et leurs 7 épouses
Un jour le frère ainé propose que chaque belle-sœur, à tour de rôle, prenne la responsabilité des dépenses de la maison. Arrive le tour de l’épouse du cadet des fils. A la fin du mois, tous les garçons sont admiratifs car elle a très peu dépensé. Tout le monde est heureux sauf les 6 belles-sœurs qui, jalouses, décident de la chasser de la maison. Sous la pression des belles-sœurs, le cadet accepte et part dans la forêt avec sa femme. Après quelques heures de marche, il lui propose de s’adosser à un ‘’sal’’, arbre où résident de nombreux corbeaux, et lui demande de ne pas bouger tant qu’il n’est pas revenu. Il s’en va, se blesse volontairement afin de mettre du sang sur sa hache et pouvoir dire en rentrant qu’il a tué sa femme dans la forêt.
La journée passe. Il ne revient pas. La jeune épouse s’allonge près de l’arbre et pleure, écoutant distraitement les conversations des corbeaux. La nuit passe. Il faut bien qu’elle se nourrisse. Elle déchire un morceau de son sari et place l’étoffe autour du tronc en faisant 7 fois le tour, afin d’indiquer à son mari qu’elle s’absente mais qu’elle va revenir. Elle part cueillir des fruits. Elle revient. Son époux n’est toujours pas là. Et ainsi les jours suivants…
Le temps passe. Elle s’aperçoit qu’elle est enceinte…
Un jour, elle croise un groupe de soldats qui recherchent un shaman connaissant les plantes médicinales pour leur roi dont les oreilles sont en train de pourrir ! Le roi est tellement effrayé qu’il a promis d’offrir la moitié de son royaume à celui qui le guérirait. La jeune femme indique qu’elle ne connaît ni chamane ni plante médicinale.
De retour près de l’arbre, comme chaque jour, elle écoute les conversations des corbeaux qui se racontent leur journée. L’un dit « aujourd’hui, je suis allé picorer les oreilles du roi qui sont en train de pourrir ». Un autre corbeau lui répond : « tu devrais lui badigeonner l’oreille avec notre fiente, c’est excellent pour lutter contre la pourriture ! ».
Ce propos n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Elle décide d’aller rencontrer le roi et de lui badigeonner les oreilles avec de la fiente de corbeau. Le roi guérit aussitôt. Il offre la moitié de son royaume à la jeune femme. Elle devient très riche. Son enfant naît et ils vivent tous deux dans le plus parfait des bonheurs…
Mais pendant ce temps, pour les 7 frères et les 6 épouses, les choses ne vont pas aussi bien. Les récoltes sont mauvaises. Ils sont contraints de ramasser du bois pour le vendre et survivre. Un jour Le fils cadet décide d’aller proposer ses fagots dans une belle demeure. Il ne sait pas que c’est celle de son épouse. De loin, elle reconnaît son mari et demande à ses gardes de le faire venir jusqu’à elle. Elle explique à son mari ce qu’il lui est arrivé et que l’arbre ‘‘sal’’ l’a sauvée. Elle accepte que son mari vienne vivre près d’elle et chaque année, ils vont ensemble effectuer un rituel au pied de l’arbre à corbeaux. Depuis lors, le ‘‘sal’’ est un arbre sacré pour les Oraons. Il fait l’objet d’un rituel chaque année : le ‘‘Sarhul’’.
Autres oeuvres d'Agnesha Kerketta (Cliquer sur les images pour les agrandir)