Peintures Warli
Les Warlis sont un peuple aborigène de l'ouest de l’Inde. Installés aujourd’hui dans une région à cheval entre le Maharashtra et le Gujarat, ils ont une origine controversée. Il est dit que ce peuple se serait sédentarisé au XIXe siècle. Leur nombre est aussi sujet à discussion… 200 000, 400 000, 800 000... Certains chercheurs estiment que leur culture et leurs pratiques puisent leurs racines directement dans la période néolithique.
Le nom ‘‘warli’’ viendrait du mot "warla" qui désigne une parcelle de terre.
Le territoire des Warlis est composé de petites collines boisées parsemées de rizières. Une de ces collines ressemble à un chapeau pointu et se distingue des sommets environnants adoucis par le temps. C’est la montagne sacrée Mahalakshmi. Elle abrite un temple où siègent les principales divinités.
A gauche : la montagne Mahalakshmi abrite le temple / A droite : une femme warli
Le peuple warli est composé de 5 communautés désignées par des noms distinctifs mais, même s’il y a quelques nuances phonétiques, tous parlent le warli, une langue non écrite. Ils vénèrent les mêmes divinités et les mariages intercommunautaires ne sont pas rares. Au contraire de la plupart des populations hindoues fortement patriarcales, la femme n’apporte pas de dot pour le mariage et c’est elle qui officie lors de nombreuses cérémonies rituelles.
Les Warlis vivent traditionnellement dans des petits villages de cases de couleur ocre rouge. Les murs de bambous sont recouverts de boue séchée et de bouse de vache. L’habitation est de forme carrée et ne comporte qu’une seule pièce avec une place réservée aux animaux, une autre pour le stockage du riz et une autre pour la cuisine. Il y a souvent 2 entrées placées diagonalement : une pour les humains, l’autre pour les animaux. Depuis plusieurs années, sous l’impulsion du gouvernement, ces habitations sont remplacées par des constructions en briques ; mais l’aménagement intérieur, rudimentaire, reste généralement le même.
Une habitation traditionnelle
Les Warlis sont agriculteurs. Ils considèrent la terre, la bouse et le riz comme les 3 éléments essentiels de la vie. Ils cultivent principalement du riz pour la consommation familiale, produisent quelques légumes, et aiment boire du toddy (alcool de palme local). Ils sont aussi éleveurs de bovins et de chèvres. Ils sont non-végétariens mais ne boivent généralement pas de lait sauf pour des médications précises.
A gauche : répandre la bouse pour aseptiser l’aire de battage / A droite : le battage semi-mécanique
Ils pensent que la vie est un cadeau à célébrer et que la terre n’est pas une possession ou un objet d'exploitation mais une entité vivante. Ils croient autant à la célébration de la vie dans le monde terrestre qu’à la mémoire et à l’adoration du sol sacré des ancêtres. La terre est déesse-mère.
Ils sont animistes. Les arbres, les pierres abritent les divinités et les esprits qui les guident et les protègent. Parmi eux, citons Kansari (la déesse du riz), Palagatha (déesse de la fertilité), Vagha (le dieu tigre), Cheda (le dieu protecteur des villages), Athoba (avec ses yeux derrière la tête pour voir à 360°), ou bien encore Irvaï qui, invoqué au 12e jour du décès d’un membre de la famille s’installe dans le corps de l’être le plus proche du défunt pour lui faire prendre la voix et les mimiques de l’être disparu et permettre ainsi un dernier contact entre les vivants et le défunt…
Ces divinités sont représentées sous forme de stèle en bois ou en pierre.
A gauche : Cheda, dans la forêt / A droite : Vagha sous abri
Les chansons, les danses et les peintures relèvent du sacré. A chaque célébration est associée une danse cérémonielle spécifique. La ‘‘danse de cambri’’ se réfère à la pluie et à la déesse mère ; elle est accompagnée d’une sorte de tambour. La ‘‘danse du tarpa’’ est la danse rituelle caractéristique du peuple warli. Elle a lieu chaque année afin de remercier les divinités pour la récolte de riz. Le nom ‘‘tarpa’’ est aussi celui de l’instrument de musique dédié à cette danse. Il s’agit d’une flûte confectionnée à partir d’une cucurbitacée. Des femmes et des hommes dansent main dans la main et forment la spirale emblématique. Cette forme géométrique semble montrer que le mouvement de la vie n'est pas seulement répétitif. A chaque itération du cycle, l'expérience et la conscience peuvent s'approfondir et conduire le mouvement vers son centre.
A gauche : danse de cambri / Au centre : Balu, joueur de tarpa / A droite : danse du tarpa
En l’absence d’écriture, les peintures sont le moyen de transmettre le sens des rituels et marquer les temps forts de l’année ou de la vie. Elles sont généralement réalisées sur les murs des habitations recouverts de bouse et d’argile. Les illustrations de couleur blanche sont issues d’un mélange de poudre de riz et d’eau lié par une gomme naturelle. Qu’elles soient effectuées sur les murs extérieurs ou intérieurs, il s’agit toujours de peintures votives et éphémères. Votives parce que toujours réalisées pour implorer, remercier ou demander la bénédiction des divinités. Ephémères car seule l’action de faire est importante. Les considérations esthétiques sont absentes et la conservation de la peinture n’a pas lieu d’être. A l’extérieur des habitations, la poudre de riz est vite détruite par la pluie et les bourrasques ; à l’intérieur, une nouvelle peinture destinée à un nouvel événement viendra toujours remplacer la précédente.
Sur les murs extérieurs des maisons, les peintures évoquent principalement le rythme de la nature et les cycles de l’agriculture. Les plus courantes sont les marques appelées "muthi". Elles sont signes d’abondance. Elles sont réalisées pour remercier les divinités à l’occasion des récoltes. Point de pinceau, ni de tampon ! Il s’agit de refermer légèrement les doigts puis d’apposer de matière répétée le tranchant de la main trempée dans le mélange d’eau et de poudre de riz.
Muthis
Plus rarement, sur certains murs, on trouve des illustrations plus complètes. Elles sont faites avec une pointe de bambou. La danse de tarpa y trouve généralement toute sa place. Elles sont fortement symboliques et se réfèrent à un contenu narratif connu de tous les Warlis. Ainsi, Hervé Perdriolle dit justement ‘‘… Les légendes Warli sont autant de récits qui permettent de perpétuer les relations que l’homme entretient avec la nature et celles qui soudent les êtres humains entre eux, à travers lesquelles apparaissent des règles de conduite. Une certaine morale, comme dans les fables de La Fontaine, et une conscience primitive de l’écologie, où le respect de la nature est primordial, y sont omniprésentes…’’
La danse de tarpa relie le village à la montagne
Sur les murs intérieurs des maisons, les peintures évoquant les grands moments de la vie familiale prédominent. En premier lieu, bien sûr, le mariage. Cette peinture rituelle a un nom : le ‘’Dev chauk’’ que l’on pourrait traduire par l’expression ‘’carré sacré de la divinité’’. Elle n’a pas pour fonction d’illustrer la cérémonie, elle est le véritable témoin du mariage grâce à la représentation de la déesse Palagatha qui, au cœur du ‘‘carré sacré’’, apporte légitimité et vœux de prospérité à cette nouvelle union.
Le ‘‘Dev chawk’’ est une peinture collective dessiné par des ‘‘suhasins’’, des femmes mariées, non veuves. La réalisation de l’œuvre s’accompagne des chants des ‘‘dhavaleris’’, les femmes-prêtres de la communauté. Une fois terminée, la peinture pourra être dévoilée en présence du shaman.
Dev Chawk
Au cours des différentes cérémonies qui rythment la cérémonie du mariage, les peintures sont complétées par la mise en scène de mimes, de jeux de rôle sociaux, de système d’offrandes ou de cadeaux. Certains rites sont incontournables. Le rite de ‘‘kanna’’ évoque le statut de virginité, le suivant est celui de ‘’Othibarne’’ durant lequel la famille du marié offre à la jeune mariée des cadeaux qui seront mis dans son sari pour qu’elle ressemble à une femme enceinte, le rite de ‘’Sadi Lavne’’ qui représente l’accouchement….
Toutes les peintures rituelles faites sur les murs sont ainsi généralement réalisées par des femmes dont certaines ont un statut particulier. Ce n’est vraiment que dans les années 70 que sont apparues les premières peintures sur toile de coton. Dans le respect des traditions des fresques murales, les toiles ont alors été badigeonnées de bouse, de terre, quelques fois de cendre et de quelques pigments naturels.
Cet acte est encore important aujourd’hui car c’est une façon pour les peintres de continuer à affirmer leur vénération pour la terre et la vache. En revanche, la poudre de riz a été remplacée par de la peinture acrylique blanche afin de répondre à l’exigence de conservation des œuvres dans le temps.
Mais ce nouvel art tribal contemporain n’aurait peut-être pas émergé sans la reconnaissance du talent de son père fondateur Jivya Soma Mashe.
Né en 1934, Jivya Soma Mashe a eu une enfance difficile. Il perd sa mère à l’âge de 6 ans puis est abandonné par sa famille. Il s’enferme alors dans un profond mutisme et se réfugie dans la peinture. Devenu adolescent, il peint sans cesse la vie qui se déroule devant lui mais reste assez mutique. Il ne fut remarqué que bien plus tard. Sa toute première exposition en Inde a eu lieu en 1975, en Inde..
En 1989, parmi une centaine d’artistes venus de tous les continents, il a participé à l’exposition ‘‘Les magiciens de la terre’’ au centre Georges-Pompidou à Paris. Ses œuvres ont ensuite pris une place importante lors de l’exposition ‘’Autres Maîtres de l’Inde’’ au musée du Quai de Branly en 2010.
Ses représentations de filets géants et de petits personnages, issus de la vie quotidienne et des légendes Warli, sont devenus célèbres à travers le monde par leur vie et leur mouvement : « Il y a des êtres humains, des oiseaux, des animaux, des insectes. Chacun bouge, jour et nuit. La vie est mouvement », disait-il.
Jusqu’à son décès en 2018, il a conservé une rare humilité. Père de l'art warli contemporain, il n’a pas hésité à mettre tout son cœur pour favoriser l’éclosion de nouveaux talents.
A gauche : Les pointes de bambou / Au centre : Jivya Soma Mashe en 2013 / le filet de pêcheur à Martigny
Les peintures sont souvent construites autour d'un langage graphique simple : le rond, le triangle et le carré. Le rond et le triangle sont nés de l'observation de la nature. Le rond de l'observation de la lune et du soleil et le triangle de celles de la montagne ou des arbres aux cimes pointées vers le ciel. Seul le carré ne semble pas né de l'observation de la nature et apparaît comme une création de l'homme afin de délimiter l'enclos sacré abritant les divinités. Les corps des êtres humains, comme ceux des animaux domestiques, sont représentés à l'aide de deux triangles inversés qui se rejoignent en leurs pointes respectives. Le triangle supérieur figure le torse, le triangle inférieur évoque le bassin. Leur articulation représente la nécessaire harmonie entre le monde terrestre et le monde céleste. Cet équilibre a aussi l'aspect pratique et ludique de pouvoir aisément animer les corps. Équilibre sans lequel, rythme et vie seraient absents de leur art.
De nombreuses œuvres se lisent comme des bandes dessinées. Un vocabulaire précis et normé permet de distinguer les hommes et les femmes, les enfants et les adultes, les petites filles et les jeunes filles, les vieux sages et les personnes en transe, les puissants et les faibles, les dieux et les déesses, les villageois et les étrangers, les oiseaux divins et les autres volatiles… Chaque peinture raconte une histoire. En la lisant et en la relisant, de nouveaux détails apparaissent et révèlent des subtilités cachées au premier regard.
Tous les peintres warlis respectent ce socle lexical commun, mais l’imagination de chacun contribue à la transformation d’un langage rituel répétitif vers un art contemporain résolument créatif.
Parmi ces peintres, Manki Bai est probablement celle qui connaît le mieux les fondements de l’art warli. Née en 1965, Manki Bai vit dans le village Navnath Dhakpada au Nord du Maharashtra. Mariée à 13 ans, veuve à 14 ans, cette femme agricultrice n’est jamais allée à l’école. Elle est désignée très tôt comme une ‘‘suhasini’’, c’est-à-dire une femme qui accomplit les rites du mariage selon la coutume warli. A ce titre elle réalise les peintures rituelles murales appelées ‘‘chauk’’. Son expertise l’a conduite à enrichir ses œuvres avec des scènes de la vie quotidienne. Elle a été une des premières femmes à exposer ses peintures dans les grandes métropoles de l’Inde. Avec son respect pour les traditions ancestrales, elle fait référence aujourd’hui dans l’art warli au féminin.
A gauche : Manki Bai / A droite : une de ses oeuvres, un chauk
Né en 1975 dans le district de Thane, Shantaram Tumbada a un style qui lui est propre, fait d’une grande simplicité et précision graphique. Ses dessins rivalisent d’élégance et d’efficacité, de rigueur et de charme. Cela se remarque notamment lorsqu’il réalise des petits formats avec un seul personnage. Ces personnages s’inscrivent dans l’espace avec une aisance rare où les pleins et les vides structurent l’ensemble avec la même efficacité visuelle que celle des pictogrammes conçus par les plus grands designers.
Il est aussi l’un des plus grands fresquistes warli. Sa notoriété est grandissante ; il est présent dans la collection de la fondation Cartier et celle du musée des Confluences à Lyon. Il a réalisé une fresque pour le musée Tony Garnier à Lyon en 1995. C’est aussi un personnage attachant qui vit simplement. Un poète de la nature, un poète dans la nature. Un homme souvent secret qui partage avec sa femme l’amour des choses simples et essentielles.
A gauche : Shantaram Tumbada / une de ses oeuvres ‘‘le musicien’’
Née en 1975, mariée et maman de 2 enfants aujourd’hui étudiants, Reena Umbersad Valvi vit dans le village de Sutrakar au Nord du Maharashtra. Très engagée socialement, Reena anime des cours de peintures auprès des enfants des écoles. La pérennité de ce mode d’expression offre aux jeunes générations les clefs pour comprendre, à travers les éléments pictographiques, ce qui continue à tisser la vie sociale de la tribu. Reena aime raconter les histoires de son peuple et la pointe de son bambou semble se mouvoir au rythme de ses émotions. Elle anime aussi des ‘‘self help groups’’ afin d’offrir aux femmes de son village des moyens pour une meilleure autonomie.
A gauche : Reena Umbersad Valvi / A droite : une de ses oeuvres ‘‘le pêcheur’’
Anil Vangad sait merveilleusement sortir des sentiers battus et souvent rebattus de l’art rituel. Il aime illustrer les grands évènements du monde contemporain et n’hésite pas à détourner des thèmes traditionnels pour s’ouvrir à un art plus cinétique. Mais Anil n’oublie pas ses racines. Né en 1983 dans le district de Thane, au nord de Mumbai, il vit toujours dans le petit hameau familial du village de Ganjad, près des siens, frères, sœurs, oncles et cousins, tous agriculteurs. Il a arrêté l’école à 14 ans. Aujourd’hui, il est marié et a trois jeunes enfants. Souvent, son épouse l’assiste dans son travail…
A gauche : Anil Vangad / A droite une de ses œuvres ‘‘nuée d’abeilles’’
Rajesh Laxman Mor est né en 1982 dans le village de Navanath (Maharasthra) où il réside toujours. Il est marié et a deux jeunes enfants. Il est avant tout agriculteur sur un petit lopin de terre. Avare de ses mots, il préfère passer de longues heures, seul, à contempler les arbres qui l’entourent. Ce sont ses sujets de prédilection. On l’identifie souvent pour l’extrême finesse de ses illustrations, et ses œuvres sont souvent riches de détails sur la vie quotidienne de son peuple.
A gauche : Rajesh Laxman Mor / A droite : une de ses œuvres ‘‘kirmira’’
Quelques oeuvres de Reena Umbersad Valvi (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques oeuvres de Rajesh Laxman Mor (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques oeuvres de Anil Vangad (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques oeuvres de Manki Baï (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
quelques oeuvres de Shantaram Chintya Tumbada (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques oeuvres de Kusum (cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques oeuvres de Amit Dhombare (cliquer sur l'image pour l'agrandir)